Championne de Côte d’Ivoire pour la première fois de son histoire, l’équipe féminine de l’Africa Sports a récemment été secouée par une affaire de harcèlement et propositions sexuelles émanant d’un membre du staff et visant des joueuses parfois mineures.
« Si demain on n’a pas baisé, je jure le soir quand je vais rentrer je vais me faire un bon ahocoo (masturbation). Si tu veux au moment de le faire, je te montrerai sur WhatsApp mon ahocoo (masturbation) en direct. »
Harcelée, apeurée, la jeune joueuse de l’Africa Sports menace le coach en question de l’enregistrer. « Pour éviter masturbation et autres sur WhatsApp, si j’arrive le soir, donne moi ce que tu as de plus cher, donne moi ton joli corps noir cacao brillant », écrit-il au milieu d’autres propositions sexuelles. « C’est un obsédé », assène une joueuse. « Il s’en est pris à moi, il voulait absolument coucher avec moi. Je l’ai repoussé, je lui ai dit non, il continuait… Il me disait que cela m’aiderait aussi pour ma carrière. »
« Je risque de me suicider et puis ça va rester sur ta conscience toute ta vie »
Connu comme le coach Touré à l’Africa Sports, Touré Makadi a intégré le staff de l’équipe féminine grâce à quelques amitiés. Non diplômé, il prend pourtant part aux entraînements, se fait appeler coach et gagne en influence au fil des mois. « C’est simplement un coach stagiaire », tempère Issiaka Bamba, le président de la section féminine. « Il n’est pas l’entraîneur principal. C’est un stagiaire, pas plus. »
Stagiaire ou non, Touré a accompagné ces derniers mois les Aiglonnes, récentes championnes pour la première fois de leur histoire. « On n’a pas vraiment compris ce qu’il faisait au début », explique une joueuse désireuse de garder l’anonymat. « Il accompagnait l’équipe, nous parlait individuellement, nous donnait des conseils. Il est devenu quelqu’un qui comptait, donc on ne voulait pas avoir de problèmes avec lui, mais son attitude… »
« Il s’en est pris à moi, il voulait absolument coucher avec moi. Je l’ai repoussé, je lui ai dit non, il continuait… Il me disait que cela m’aiderait aussi pour ma carrière »
En cause, des dizaines de messages envoyés à plusieurs joueuses, notamment mineures, en réclamant des actes sexuels en échange de certaines faveurs sportives (temps de jeu, maillots, etc.). « C’est insupportable car il est pressant et nous fait du chantage », peste une autre joueuse. Dans l’un des textos, Touré explique même à une fille qu’il « risque de [se] suicider et puis ça va rester sur ta conscience toute ta vie ».
Soutenu par son président qui n’a « aucune preuve » contre lui
Refusant le chantage sexuel, de nombreuses filles ont supplié Touré d’arrêter, quitte à le menacer de le dénoncer. « Vous êtes un pervers et un pédophile », peut-on lire dans un échange de messages. Qu’importe les avertissements ou insultes, le coach a continué. « C’est pourquoi certaines ne viennent plus aux entraînements. Ce n’est juste pas possible. Il a même essayé avec des mineures », souffle la joueuse.
Excédées, certaines filles ont alerté des connaissances qui ont commencé à ébruiter l’affaire sur les réseaux sociaux, notamment Facebook. « J’ai vu ce qui se disait, mais ce sont des mensonges », coupe le président Issiaka Bamba. « Il n’y a aucune preuve ! Je n’ai vu aucune preuve ! Et j’attaquerai les gens qui mentent ! Une fille a seulement dit que Touré l’a dragué. La drague, ce n’est pas condamnable que je sache. »
Issiaka Bamba, président de la section féminine : « Il n’y a aucune preuve ! Je n’ai vu aucune preuve ! Et j’attaquerai les gens qui mentent ! »
Organisant une réunion avec les joueuses, au cours de laquelle l’entraîneur s’est excusé, le président dit n’avoir entendu aucune plainte. « Vous voyez que ce sont des mensonges. Les filles ne m’ont rien dit. Et cette histoire de mineures, c’est faux. » Une réaction qui enrage plusieurs joueuses. « Nous avons peur de parler, de révéler nos identités. On sait que Touré est soutenu, donc qu’est-ce qu’on peut faire ? C’est déjà délicat à aborder comme sujet… »
Silence de la présidente du comité de normalisation
Assistant toujours aux entraînements comme si de rien n’était, le coach Touré n’a pas répondu aux accusations le concernant. « Donnez-moi des preuves, et je prendrai la décision demain matin », plaide Issiaka Bamba, le président de la section féminine de l’Africa Sports qui n’a toutefois ouvert aucune enquête.
Une inaction constatée également au comité de normalisation dirigeant actuellement la fédération ivoirienne. Contactée à deux reprises par mail pour savoir si la FIF comptait ouvrir une investigation, la présidente Mariam Gabala Dao n’a répondu à aucune demande. « C’est comme si tout le monde s’en foutait de nous », souffle avec quelques larmes une Aiglonne. « Notre club ne prend aucune décision, la fédération ne regarde pas ce qui se passe. Ne croyez pas que le cas de Touré soit isolé. C’est répandu dans le football féminin ivoirien. »
« Notre club ne prend aucune décision, la fédération ne regarde pas ce qui se passe. Ne croyez pas que le cas de Touré soit isolé. C’est répandu dans le football féminin ivoirien. »
Dans l’attente des élections à la FIF prévues le 23 mars, l’affaire du coach Touré montre les priorités de certains dirigeant(e)s ivoirien(ne)s, et le sort réservé à des jeunes filles qui disputeront pourtant dans quelques mois les tours préliminaires de la Ligue des Champions de la CAF. Une récompense d’une saison épique, mais dans quelles conditions ?
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